Ville Témoin (6)

Benjamin Bondonneau, Kristof Guez et Raphaël Saint-Remy ont réalisé une série appelée « Ville Témoin » de textes, miniatures sonores, photos et vidéos à partir du matériau collecté pour la maquette urbaine, ramifications oniriques à partir des paroles d’habitants du territoire.

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Contrechamps par Raphaël Saint-Remy (20)

R76) Au-dessus de moi, depuis toujours
            (D’après : « L’arbre double ». 
Arbre, fruit, craquements)

L’ARBRE DOUBLE

Au-dessus de moi, depuis toujours semble-t-il (bien que je n’en aie pris réellement conscience que récemment), se frottent dans la brume, et grincent, les branches d’un arbre immense. Ce n’est d’ailleurs que sous l’effet des mouvements de cette brume que j’aperçois parfois ces branches — jamais dans leur entier, et jamais très longtemps. 

Je sais que cet arbre a pour particularité d’être double, ses deux troncs étant plantés de part et d’autre de l’endroit où je me trouve — à une distance si grande l’un de l’autre que je ne peux que difficilement l’imaginer. Et c’est à l’exact aplomb de ma tête que leurs plus fines branches se rejoignent. Il m’arrive de penser que je suis le fruit de ces arbres siamois, et que c’est précisément parce que je pends sous le lieu même de leur rencontre qu’ils continuent de mêler leur branches — peut-être même de prendre appui l’un sur l’autre.
Mais depuis peu me parviennent, par la fine et longue tige qui me porte, des craquements inquiétants. Quelque chose se brise je le sens dans cette immense structure. Peut-être ne sont-ce que des branches annexes dont la perte ne doit pas m’alarmer ; mais il se peut aussi que ces craquements proviennent de plus loin, des bases même de cet arbre naturellement double. J’essaie de ne pas y porter trop d’attention, de laisser ses bruits sinistres à leurs lointains dont je ne sais rien. Mais comment demeurer insensible aux oscillations que chacun d’eux provoque dans la tige à laquelle je suis suspendu, et qui chaque fois mettent tant de temps à s’apaiser ? Comment ne pas voir là les signes annonciateurs de ma chute prochaine ? 

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Duo pour maquette et ordinateur le 20/05/19

Martin Laliberté et Xavier Hautbois ont présenté le 20 mai 2019 au Piano-Bar leur prototype d’instrument de musique conçu à partir de la maquette.

La carte de la maquette a été importée dans le séquenceur Iannix, séquenceur multimédia open source descendant de l’UPIC. Les contours de tous les bâtiments ont été numérisés, de manière à pouvoir les explorer avec des curseurs, objets clés de Iannix.

La carte de la maquette dans Iannix. Au centre de l’image, les deux barres rouges sont des curseurs en train de parcourir des bâtiments.

Les curseurs, commandés par les doigts du musicien face à la carte affichée sur l’écran tactile, envoient des informations sur chaque bâtiment (position, forme) à Max, informations qui servent ensuite à piloter des synthétiseurs et des échantillons. Le son est spatialisé en quadriphonie autour du public.

Martin Laliberté en train de piloter les traitements sonores: moteur de synthèse et de spatialisation écrit en Max, et pilotage des paramètres sur tablette à l’aide de Mira.
Xavier Hautbois s’apprêtant à jouer de la maquette en interagissant avec Iannix par le biais de l’écran tactile.

Le nouvel instrument sonore, constitué de sons de synthèse de harpes, de xylophones, de cloches, ainsi que de nappes d’eau et d’échantillons captés in situ a montré son potentiel de création sonore, ainsi que les possibilités d’interaction spatiales sur la texture du son, en fonction de contraintes topographiques.

L’utilisation de Iannix et de Max ouvre des possibilités infinies de traitement et d’exploration des liens à tisser entre carte et discours musical.

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Contrechamps par Raphaël Saint-Remy (19)

R75-6) Dérivant dans l’espace
            (D’après : « Chemins ».
Vide, routes, marche, demi-tour)

ROUTES

Dérivant dans l’espace, un gigantesque empilement de routes — structure énigmatique et paresseuse, colonne torse dont chaque vertèbre, effilée à l’infini et accrochée comme par hasard aux autres, plonge de chaque côté dans une nuit sans fond. Je marche sur une de ces routes, sans pouvoir distinguer, tant elles sont nombreuses, ni la plus élevée, perdue dans les hauteurs, ni la plus basse sur laquelle, du moins puis-je le supposer, toutes les autres reposent. 

Aussi loin que remontent mes souvenirs (mais dans cet immense vide, ma notion du temps est floue, et je ne peux m’appuyer sur elle pour établir une chronologie sûre de mon existence), j’ai toujours marché, et d’un bon pas, ne prenant que le repos nécessaire pour aborder l’étape suivante avec des forces et un entrain neufs. Mais ces routes se sont toujours montrées, à mesure de mon avancée, de plus en plus difficiles à pratiquer — soit que la végétation ou la caillasse les ait envahies, soit que leur ligne même n’ait subie des contraintes supérieures, les tordant comme des cornes dans un sens ou dans l’autre au point que tôt ou tard venait pour moi le moment, si je voulais poursuivre ma progression, de me laisser choir sur la route inférieure. 

C’est donc sur l’une de ces routes que j’avance à présent, identique aux précédentes mais pas encore atteinte par un encombrement ou une torsion m’obligeant à l’abandonner. Sa direction dévie légèrement par rapport à celle de la route supérieure, mais cette divergence de cap est habituelle : j’ai pu vérifier qu’elle se reproduisait chaque fois selon le même angle si bien qu’à force d’être ainsi sans cesse corrigé mon point de mire sera tôt ou tard à l’opposé parfait de celui qui était le mien au commencement de mon voyage. Mais cela ne me trouble pas. Peut-être même cela crée-t-il chez moi une certaine impatience, comme si la pensée de me retrouver à marcher dans le sens exactement contraire à celui des débuts représentait une forme d’aboutissement — aboutissement que la manifeste absence de fin de ce grand empilement ne saurait de toute façon m’offrir. 

Encore faudrait-il que je puisse savoir avec précision à quel moment surviendra ce parfait demi- tour. Et cette incertitude me ronge, bien plus que les obstacles et chutes successives qui régulièrement viennent ponctuer ma progression. 

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Contrechamps par Raphaël Saint-Remy (18)

R75-5 ) Pour progresser dans l’espace immense
            (D’après : « Jardin ».
Vide, jardin, route, abordage)

LE JARDIN

Pour progresser dans l’espace immense qui s’offre à notre équipe (nous sommes une poignée, perdus dans une nuit perpétuelle seulement trouée de quelques lointaines et vacillantes lueurs), il nous faut en permanence œuvrer à la consolidation et surtout au prolongement de notre route — seul espace à peu près solide dans le vide sans limite qui nous enveloppe. 

Prélevant inlassablement sur l’arrière les matériaux nécessaires à notre avancée, nous gagnons lentement sur la nuit, dans l’espoir d’atteindre enfin le jardin qui régulièrement, de son vol fantaisiste, vient nous visiter. (Si le vol de ce jardin paraît fantaisiste, cela tient surtout au dessin difficilement prévisible de sa trajectoire, mais son déplacement, somme toute assez lent, nous permet néanmoins de calculer son avancée avec une certaine précision). 

À de nombreuses reprises déjà nous l’avons vu approcher, et avons incliné vers lui notre route, mais chaque fois l’abordage a échoué, soit par la faute de nos travaux mal planifiés et insuffisamment efficaces, soit parce que, ayant tout de même réussi à l’approcher de près, nous allions buter sur une végétation impénétrable, un rivage trop accidentée, ou une roche trop friable et se désagrégeant au moindre contact. 

Aussi avons-nous fini par désespérer d’un jour pouvoir aborder ce jardin errant, et avons-nous réfléchi à d’autres approches possibles, peut-être moins directes mais plus conformes à sa nature et au rythme de son errance. Et nous sommes convenus, après d’intenses palabres, de ne plus le viser directement lors de sa prochaine apparition dans notre ciel, mais de diriger notre route vers un point dominant sa trajectoire, afin d’une fois convenablement positionnés à son surplomb nous laisser tomber sur lui tels des fruits mûrs.
C’est en vue de cette perspective que nous œuvrons désormais. Lorsque le jardin se montrera à nouveau, nous serons prêts j’en suis sûr. Encore faudrait-il que l’objet de notre quête veuille bien s’extraire des ténèbres dans lesquelles depuis un temps à présent anormalement long il a disparu — temps qui dans le secret de mes pensées (que je me garde bien de partager avec ceux de mon équipe) ne me semble rien augurer de bon. 

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