Contrechamps par Raphaël Saint-Remy (14)
R75-1) J’éprouve de plus en plus de difficultés
(D’après : « chemins emmêlés ». Routes, marche, écheveau)
VOIES ANCIENNES
J’éprouve de plus en plus de difficultés à avancer. Cela fait des heures, des jours peut-être que je lutte contre une force invisible qui me fait me pencher toujours davantage en avant, face au vent, les poings et la mâchoire serrés. Cette lutte m’épuise, j’y consume toutes mes forces.
Vient un moment (inévitable, et que je sentais approcher depuis longtemps), où je me vois contraint de renoncer. Abandonnant ce combat inégal, je m’effondre à terre, exténué. Et c’est à ce moment que j’aperçois derrière moi un écheveau de chemins, de pistes et de routes de toutes sortes, qui sans que je l’aie senti sont venus, durant ma marche, s’accrocher à mon dos.
J’ai beau me secouer, tenter d’arracher toutes ces traînes, rien n’y fait. Mais me vient peu à peu à l’esprit que c’est certainement l’emmêlement de toutes ces routes qui ralentit mon avancée, bien plus que leur poids ou leur nombre que pendant longtemps j’ai apparemment pu supporter sans même m’en rendre compte.
J’entreprends donc d’aller dénouer l’écheveau. Grâce à un soudain regain d’énergie, je soulève et dégage quelques voies, m’attaque à divers sentiers, souples et légers mais qui empêchent les mouvements de quelques autres plus rigides à leurs côtés, et m’émerveille de reconnaître chaque fois des chemins naguère ou jadis empruntés — chemins que pour la plupart j’avais oubliés, ou que je pensais ne plus jamais fouler.
Je ne sais si c’est par désir de démêler ce nœud gigantesque ou par impatience de retrouver ces routes oubliées qu’abandonnant mon but initial je m’enfonce dans l’immense filet. Quoi qu’il en soit, convaincu de m’y perdre je m’y engage avec un enthousiasme et une légèreté que je n’ai sans doute pas connus depuis les premières heures de mon voyage, quand l’inconnu s’ouvrait encore devant moi vierge de tout obstacle.