Contrechamps par Raphaël Saint-Remy (9)

Raphaël Saint-Remy a écrit des textes comme prolongements, extensions des entretiens qu’il a mené avec des personnes rencontrées sur le terrain.


R74-2) Je ne sais depuis combien de temps
            (D’après : « L’objectif c’était de pouvoir avoir ce car, prendre son ticket et

L’AUTOBUS

Je ne sais depuis combien de temps je suis assis dans cet autobus hors d’âge, à cette place solitaire, celle qui certainement dès le premier instant m’a semblé la plus modeste, celle qui si d’aventure d’autres que moi venaient à entrer passerait le plus inaperçue. Je suis pour l’instant (et peut-être depuis longtemps, mais le temps dans lequel je baigne n’a ni commencement ni fin ; je suis sans souvenirs, et mon corps même, sans appétit ni exigence, semble fait d’une chair aussi fade qu’antédiluvienne) l’unique voyageur, et ai tout loisir d’observer de l’autre côté des vitres les astres dériver dans la nuit. Certains parfois semblent grossir insensiblement, d’autres traversent fugacement le ciel, d’autres encore s’éloignent lentement, ou demeurent à ce point fixes qu’ils ne sont peut-être que le reflet dans les vitres des faibles ampoules, d’un jaune terne, qui éclairent péniblement mon refuge. 

Mais ce n’est que fugitivement que je tourne les yeux vers ces corps inatteignables et flottant dans un vide toujours plus inconcret. Car mes pensées sont sans cesse occupées à donner vie à cet habitacle qui malgré sa vétusté et sa fragilité me porte et me protège, et à lui offrir un peu de la vie qui semble l’avoir déserté. N’en ayant pas de réels, je m’invente des souvenirs, les concrétise, et les libère dans l’espace clos du bus. Là je le sais ils sont à l’abri, et peuvent à loisir jouir d’eux-mêmes et des autres. Je prie pour que le voyage ne prenne pas fin. C’est là ma grande angoisse, ce qui régulièrement me tétanise et dont je ne peux me défendre qu’en plongeant dans un demi-sommeil ouateux qui, j’en ai la certitude, demeure mon meilleur allié pour maintenir dans le réel ce qui n’est peut-être, après tout, qu’un rêve lent et paresseux. 

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Contrechamps par Raphaël Saint-Remy (8)

Raphaël Saint-Remy a écrit des textes comme prolongements, extensions des entretiens qu’il a mené avec des personnes rencontrées sur le terrain.


R72-1) Ma convocation à la main
            (D’après : « Là, je candidate ». Convocation, bâtiment, verre, effondrement)

LA CONVOCATION

Ma convocation à la main, j’approche du bâtiment de verre où m’attendent les examinateurs. Les dimensions de l’édifice me paraissent démesurées en regard de la modestie de mes connaissances. C’est pourtant sur ce fragile savoir que vont se pencher, sans aucune pitié je le sais, ceux qui certainement déjà là-haut s’impatientent. 

Alors que j’avance, mon regard erre sur la haute façade de verre, cherche sans espoir sur cette surface lisse et hostile un point où s’accrocher. Et je repère tout à coup, dans un coin, une légère rayure, peut-être même une fissure qui violemment, et comme réagissant mécaniquement à mon coup d’œil, se propage d’un coup sur toute la paroi, pour finalement la faire voler en éclats. 

Les morceaux tombent en pluie drue devant moi, se plantent dans le sol, forment une forêt dont chaque élément menace de m’entailler les chairs. Bien qu’effrayé je me faufile entre ces lames transparentes, convaincu que c’est peut-être là une chance pour moi, l’occasion inespérée de montrer que la faiblesse de mes connaissances me permet néanmoins de me sortir d’une passe dangereuse. 

Et je me hâte vers l’entrée, brandissant bien haut ma convocation, avec une assurance toute nouvelle pour moi. 

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Contrechamps par Raphaël Saint-Remy (7)

Raphaël Saint-Remy a écrit des textes comme prolongements, extensions des entretiens qu’il a mené avec des personnes rencontrées sur le terrain.


R68-4) Quelque chose me pousse
            (D’après : « Thèse de lettres. Études de lettres ». Mots, langage, maison)

VOCABULAIRE NOUVEAU

Quelque chose me pousse (je pourrais bien sûr tenter de savoir quoi précisément, mais une sorte d’instinct me dit de n’en rien faire) à couvrir les murs de mon logement de quantité de mots (je n’ose dire de phrases, car bien souvent c’est à peine un ou deux mots que j’y colle, quelquefois même une simple lettre), sous la forme de petites pièces de bois ou de métal fixées à la cloison par un clou, un peu de plâtre, une cordelette, ou quoi que ce soit d’autre qui sur le moment se trouve à portée de ma main. 

C’est dans un état avancé de fébrilité que je poursuis cette œuvre (qui n’en est une que parce qu’elle se développe dans un espace clos, et que rien du dehors ne vient en perturber l’avancement)  — fébrilité qui sans doute m’empêche d’apporter un soin suffisant à l’accroche des lettres, et m’oblige à sans cesse courir d’un endroit à l’autre afin de renforcer les fixations bâclées. 

Toutes ces consolidations viennent d’ailleurs peu à peu envahir les cloisons, au point que les écrits, pour autant qu’ils aient été dans un premier temps compréhensibles, se voient noyés dans un amas d’étais et de rafistolages hétéroclites, et en deviennent par là-même, y compris à mes yeux, obscurs, hermétiques, cabalistiques, en un mot indéchiffrables. 

Je pourrais bien sûr cesser là toute activité, et me perdre dans la contemplation de ce presque désastre. Mais quelque chose me pousse à poursuivre cette œuvre — je veux dire ce dialogue avec mes murs. Si bien qu’à présent, je ne fais plus le départ entre lettres ou mots à fixer aux cloisons et matériaux divers utilisés pour les maintenir dans le vaste ensemble. Ma main ne choisit plus. Elle prend ce qui se présente, et le lance dans le grand jeu, jouissant de fabriquer ce vocabulaire nouveau que mon esprit a définitivement renoncé à maîtriser. 

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Contrechamps par Raphaël Saint-Remy (6)

Raphaël Saint-Remy a écrit des textes comme prolongements, extensions des entretiens qu’il a mené avec des personnes rencontrées sur le terrain.


R68-3) Mes pieds sont détachables
            (D’après : « Je ne connaissais pas la ludothèque avant d’y mettre les pieds ». Pieds, exploration)

LES PIEDS  

Mes pieds sont détachables. Non qu’ils me soient inutiles (au contraire, sans eux je ne peux rien, et tout déplacement devient un casse-tête, une torture même), mais il leur faut, avant chacune de mes migrations, me précéder là où j’ai décidé d’aller.
Pour autant, une sorte de paresse les habite, qui les empêche d’aller seuls et sans itinéraire précis là où pourtant leur légèreté et leur souplesse pourraient les emmener sans presque qu’ils y pensent. Partir à l’aveugle est pour eux inconcevable, et ce n’est que contraints qu’ils visitent l’inconnu. C’est pourquoi il me faut les jeter loin devant moi, et attendre qu’ayant flairé tous les recoins de l’espace à conquérir, ils reviennent me chercher. C’est alors et alors seulement que sans difficulté et devenus presque rieurs ils me transportent jusqu’à ma nouvelle halte. 

Situation lassante, mais c’est mon lot et je l’accepte, d’autant qu’il me semble avec le temps que c’est précisément dans ces moments où j’envoie balader mes pieds et attends leur retour que je me trouve le plus disposé à accueillir l’inattendu, et à en jouir.

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Contrechamps par Raphaël Saint-Remy (5)

Raphaël Saint-Remy a écrit des textes comme prolongements, extensions des entretiens qu’il a mené avec des personnes rencontrées sur le terrain.

R68-1) J’évolue dans un univers imprécis
            (D’après : « Faire plusieurs choses en une ». Pensée, voltes, désert)
 

ERRANCE

J’évolue dans un univers imprécis, nébuleux, antilogique, dans lequel quoi que je fasse, quel que soit l’objet que je façonne, le chemin que je prends ou la pensée que péniblement j’élabore, le résultat à l’arrivée (bien que l’on ne puisse évidemment pas considérer cela comme un résultat, ni du reste comme une arrivée) se présente toujours comme un corps complexe farci de bien d’autres choses que de lui-même, et qui d’emblée ne peut paraître que suspect. 

Sans doute ce lieu sibyllin, inconclu, rétif à la topographie présente-t-il une certaine parenté avec mes rêves, qui naturellement ne sont que des conglomérats d’images gigognes toujours enveloppées par leurs contraires (et à leur tour les enveloppant) et ignorant tout de leur place et de leur rôle dans la molle structure à laquelle elles appartiennent. Quoi qu’il en soit, toute action, production ou pensée univoque et totalement définie m’est ici je le sais interdite, et c’est dans une multiplicité désordonnée et sauvage, en même temps que dans une géographie trompeuse, qu’il me faut progresser — conscient que cette situation cache en elle de nombreuses voltes incontrôlables susceptibles de me mener dans des régions imprévues, sans intérêt, idiotes peut-être : déserts sans issue que je ne peux éviter, et dont seul un événement impossible à prévoir, et surtout à concevoir, peut me sortir. 

Sans illusion (mais sans défiance non plus) je m’enfonce donc, vaguement obstiné, dans ce pays ouateux, laissant ce qui se ballotte en moi de contradictoire trouver par soi-même les agencements utiles à mon errance. 

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Ville Témoin (4)

Benjamin Bondonneau, Kristof Guez et Raphaël Saint-Remy ont réalisé une série appelée « Ville Témoin » de textes, miniatures sonores, photos et vidéos à partir du matériau collecté pour la maquette urbaine, ramifications oniriques à partir des paroles d’habitants du territoire.

 

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Résidence les 10 et 11 avril à la Centrif’

Une partie de l’équipe du projet était en résidence à la Centrif’, tiers-lieu de la Cité Descartes, pour travailler sur un projet de spectacle mêlant musique, danse et littérature autour de la maquette.

Photo du fil twitter de la Centrif’ (@LaCentrif) 

Ces deux journées de travail ont associé Benjamin Bondonneau, Raphaël Saint-Remy et Olivier Bonin, partenaires réguliers du projet, auxquels se sont joints Émmanuelle Pépin (danseuse), Michel Mathieu (comédien) et Géraldine Keller (chant et flûte).

Le spectacle utilise le matériau riche et divers engrangé dans la maquette autour de trois lieux typiques du territoire: les bois, les étangs et la route, et de trois « avatars », qui joueront un rôle dans des courts-métrages à venir.

Photo du fil twitter de la Centrif’ (@LaCentrif) 
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Midi Maquette du 15/04/19 : Marcher et faire du vélo à Champs-sur-Marne

Des élèves ingénieur en première année de l’école des Ponts ont réalisé une enquête de terrain pour analyser le potentiel cycliste et piéton de la Cité Descartes et d’une partie de la ville de Champs-sur-Marne.

Ils présenteront leur travail, où enquêtes et relevés de terrain dialoguent avec photographies et textes littéraires.

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Ville Témoin (3)

Benjamin Bondonneau, Kristof Guez et Raphaël Saint-Remy ont réalisé une série appelée « Ville Témoin » de textes, miniatures sonores, photos et vidéos à partir du matériau collecté pour la maquette urbaine, ramifications oniriques à partir des paroles d’habitants du territoire.

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