Raphaël Saint-Remy a écrit des textes comme prolongements, extensions des entretiens qu’il a mené avec des personnes rencontrées sur le terrain.
ERRANCE
J’évolue dans un univers imprécis, nébuleux, antilogique, dans lequel quoi que je fasse, quel que soit l’objet que je façonne, le chemin que je prends ou la pensée que péniblement j’élabore, le résultat à l’arrivée (bien que l’on ne puisse évidemment pas considérer cela comme un résultat, ni du reste comme une arrivée) se présente toujours comme un corps complexe farci de bien d’autres choses que de lui-même, et qui d’emblée ne peut paraître que suspect.
Sans doute ce lieu sibyllin, inconclu, rétif à la topographie présente-t-il une certaine parenté avec mes rêves, qui naturellement ne sont que des conglomérats d’images gigognes toujours enveloppées par leurs contraires (et à leur tour les enveloppant) et ignorant tout de leur place et de leur rôle dans la molle structure à laquelle elles appartiennent. Quoi qu’il en soit, toute action, production ou pensée univoque et totalement définie m’est ici je le sais interdite, et c’est dans une multiplicité désordonnée et sauvage, en même temps que dans une géographie trompeuse, qu’il me faut progresser — conscient que cette situation cache en elle de nombreuses voltes incontrôlables susceptibles de me mener dans des régions imprévues, sans intérêt, idiotes peut-être : déserts sans issue que je ne peux éviter, et dont seul un événement impossible à prévoir, et surtout à concevoir, peut me sortir.
Sans illusion (mais sans défiance non plus) je m’enfonce donc, vaguement obstiné, dans ce pays ouateux, laissant ce qui se ballotte en moi de contradictoire trouver par soi-même les agencements utiles à mon errance.