Contrechamps par Raphaël Saint-Remy (56)

R103-5) Pour pouvoir avancer, mes pieds ont besoin d’eau
            (D’après : « La chasse à l’eau ». Pieds, eau, course)

LES MARES

Pour pouvoir avancer, mes pieds ont besoin d’eau — un besoin tel qu’en trouver est devenu leur unique obsession, et que ce n’est que lorsqu’ils sentent quelque part un ruisseau, une fontaine, une mare, qu’ils se mettent en chemin. C’est du reste surtout l’eau des mares qu’ils affectionnent. Ils ne goûtent que très modérément les eaux vives, et ne s’y trempent que lorsqu’aucune autre ne s’offre à eux — et encore, rapidement, et comme à la dérobée. 

Le malheur est que là où je me trouve, si l’eau des mares s’avère comme partout ailleurs croupie et inactive, les mares elles-mêmes se montrent non seulement mouvantes, mais farouches, et que, craignant plus que tout semble-t-il qu’on vienne les agiter, elles s’enfuient à la moindre alerte avec une étonnante célérité. 

Mon existence se résume donc à courir après des mirages, et à me contenter des rares pauses (toujours trop courtes, et toujours insatisfaisantes) que m’offre l’eau claire et fuyante des ruisseaux, dont mes pieds revêches se montrent pourtant bien peu friands. 

Continuer la lectureContrechamps par Raphaël Saint-Remy (56)

Contrechamps par Raphaël Saint-Remy (55)

R103-4) Mes oreilles changent
            (D’après : « Le vent dans les oreilles ». Oreilles, vent, poches)

LES OREILLES

Mes oreilles changent. Sans que je puisse rien faire contre elles grandissent, et surtout se referment sur elles-mêmes, formant de chaque côté de ma tête deux poches hermétiques dans lesquelles l’air, mis en cage par surprise, ne cesse de se tourner et de se retourner, de se cogner aux parois, de crier, hurler, geindre, sans qu’il me soit possible de faire quoi que ce soit pour le libérer (je m’y suis essayé bien sûr, mais mes mains n’ont rien pu contre ces poches de chair, et le courage m’a manqué pour m’y attaquer au couteau). 

Je suis l’unique témoin de cette douleur de l’air, si proche de moi et si permanente que j’en connais à présent toutes les variations et les modulations, au point d’en prévoir presque les emportements les plus soudains, les bourrasques les plus inattendues.
Je pourrais prendre mon parti de ce nouvel état, et accepter ces enflures pourtant bien inesthétiques comme des membres naturels. Mais force m’est de constater qu’elles ne s’en tiennent pas à leurs dimensions premières et qu’elles ne cessent, par l’action de ce vent intérieur sans doute, de se développer et de gonfler comme des ballons. Elles ont depuis longtemps dépassé en volume non seulement ma tête, mais mon corps tout entier. Si bien qu’il me faut les traîner derrière moi, et que cette charge ne me laisse plus un instant de répit. 

Encore puis-je toujours me mouvoir, même si c’est avec difficulté. Mais je sais que bientôt tout déplacement me sera impossible, et qu’il me faudra rester à jamais à la même place, pris en tenailles entre ces deux poches obèses. Je n’aurai alors pour tout loisir que d’écouter les vents se lamenter. 

Continuer la lectureContrechamps par Raphaël Saint-Remy (55)

Contrechamps par Raphaël Saint-Remy (54)

R103-3) Partout, à perte de vue, des cœurs palpitants
            (D’après : « Battements de cœur ». Mer, sang, cœurs, nage, ascension

LES MÉDUSES

Partout, à perte de vue, des cœurs palpitants, qui pompent et crachent du sang, dérivent par le seul fait de leurs tressauts, se gênent, s’étouffent, luttent pour leur survie, dans une mer rouge et visqueuse qui recouvre la terre entière.
C’est dans cette houle, agitée en permanence par les palpitations de ces organes solitaires aux nerfs toujours à vifs, qu’il me faut avancer. Mes mouvements de brasse, lourds, pénibles, gluants, peu à peu se font pourtant moins difficultueux. Le sang devient moins épais, s’éclaircit, comme s’il était coupé d’eau. Les cœurs eux-mêmes semblent s’alléger. Ils se heurtent avec moins de violence, trouvent à se désempêtrer, à évoluer de façon moins contrainte. J’avance toujours, d’une nage progressivement plus aisée, bientôt presque naturelle. Les cœurs de leur côté gagnent en transparence. Je peux suivre en eux le mouvement de ce qui n’est plus vraiment du sang, mais de l’eau légèrement teintée de rouge, puis de rose, enfin d’un bleu délicat, diaphane. 

C’est peut-être sous l’action de cette eau presque pure que les cœurs se métamorphosent, tendent vers la symétrie parfaite des cnidaires. Leurs veines volumineuses se dispersent en mille filaments légers. Leurs battements restent ternaire, mais il s’agit davantage d’une danse que d’un brutal mouvement réflexe. Ces jeunes méduses s’envolent dans les hauteurs. J’ai à peine besoin d’agiter mes bras pour évoluer parmi elles. Je plane moi aussi, sans savoir avec certitude si c’est dans l’eau ou dans l’air. L’espace est ouvert, plus de but à atteindre, plus de pensée à soutenir. Mon corps s’évapore. Je ne suis plus, méduse parmi les méduses, que le très doux et cristallin battement d’un cœur parfaitement transparent. 

Continuer la lectureContrechamps par Raphaël Saint-Remy (54)

Contrechamps par Raphaël Saint-Remy (53)

R103-2) Avant même que la moindre parole ne sorte de ma bouche
            (D’après : « Des mots sur les pierres ». Mots, pierres, poumons, dégoût)

LES PIERRES

Avant même que la moindre parole ne sorte de ma bouche, c’est en moi tout un tourbillon de roches, de pierres, de caillasses grossières qui viennent cogner et râper les parois de mes poumons, se prendre dans ma gorge et en boucher l’issue. Et ce n’est qu’en éructant, crachant, vomissant que je peux me libérer de ce chaos. 

Bien sûr ces pierres dont je parviens après de longs et pénibles efforts à me libérer ne sont pas ordinaires. Elles portent mes pensées gravées sur elles (de façon incomplète, par bribes pourrait-on dire, car l’espace manque, mais au moins ont-elles cette qualité), et à qui voudraient les connaître, il suffirait de se pencher pour les examiner. 

Mais qui voudrait faire cet effort ? Qui passerait par dessus son dégoût — dégoût qui plus est que je partage ? 

Continuer la lectureContrechamps par Raphaël Saint-Remy (53)

Contrechamps par Raphaël Saint-Remy (52)

R103-1) De la fenêtre de ma chambre
            (D’après : « Le lac ».Eau, fil, profondeurs, polyphonie

L’ÉTANG

De la fenêtre de ma chambre, j’aperçois les eaux sombres de l’étang auquel mon existence depuis toujours est liée. Un fil en effet nous relie, cet étang et moi, qui d’un côté plonge dans mon ventre, et de l’autre disparaît dans la profondeur des eaux. Même lorsqu’au matin je m’éloigne, ce fil incassable m’accompagne, suit toute la journée mes pérégrinations, s’étire sans jamais m’opposer la 

moindre résistance. Et lorsqu’au soir je reviens, il se replie avec la même aisance, et regagne silencieusement son repaire au fond des eaux. 

C’est dans ces profondeurs bien sûr que se trouve le mécanisme mystérieux qui nous lie ; là que tourne la grande bobine dévidant et rembobinant inlassablement son fil. Je soupçonne d’ailleurs cette bobine de dissimuler un mécanisme plus complexe encore, ou plutôt de n’être que la partie la moins profondément enfouie d’une machine beaucoup plus développée, et dotée de multiples extensions. Car il me semble que chaque étendue d’eau (de la mare la plus modeste aux vastes océans) retient à elle, de la même façon, certains êtres qui sans le savoir partagent la même condition, et que c’est le même unique mécanisme, caché dans les profondeurs de la terre, qui agit sur eux. 

Peut-être les gens de notre espèce sont-ils les voix d’une polyphonie secrète et muette, dont ces fils invisibles sont l’instrument. C’est ce concert que j’essaie d’entendre lorsque n’ayant plus à courir le monde je demeure immobile sur la rive, à l’écoute de cette extension de moi à la fois si paisible et si énigmatique. 

Continuer la lectureContrechamps par Raphaël Saint-Remy (52)

Contrechamps par Raphaël Saint-Remy (51)

R 102-1) La terre n’est plus que décombres
            (D’après : « Éclaircies ».Guerre, ruines, armes, nuit, ciel)

CIEL COUVERT

La terre n’est plus que décombres, partout des hommes se traînent, rampent au milieu des ruines. Plus une seule zone qui soit à l’abri des combats. Les canonnades se répondent, cessent et reprennent sans raison, toujours quand on s’y attend le moins. Les soldats circulent en bandes, parfois déciment par erreur des troupes alliées, toujours pillent et tuent. 

Mais c’est au-dessus des têtes que les armes sont les plus nombreuses. Agglutinées les unes aux autres, comme regroupées là par une tornade qui se serait subitement figée, elles occupent tout le ciel, et plongent les hommes dans une perpétuelle pénombre. Parfois cependant, une arme se détache et tombe à terre — motif suffisant pour relancer les hostilités. Plus rarement, c’est un bloc entier qui s’abat sur les hommes, que les armées aussitôt se disputent. C’est alors l’occasion, du moins pour les survivants, d’apercevoir un peu du véritable ciel, dont le bleu sans nuage chaque fois les stupéfie. 

Continuer la lectureContrechamps par Raphaël Saint-Remy (51)

Ville Témoin (12)

Benjamin Bondonneau, Kristof Guez et Raphaël Saint-Remy ont réalisé une série appelée « Ville Témoin » de textes, miniatures sonores, photos et vidéos à partir du matériau collecté pour la maquette urbaine, ramifications oniriques à partir des paroles d’habitants du territoire.

Continuer la lectureVille Témoin (12)

La maquette a fêté la musique!

Le 17 juin, la maquette urbaine s’est installée avec armes et bagages sur le parvis entre le bâtiment Bienvenüe et le bâtiment Carnot de la cité Descartes.

Une partie de l’équipe des musiciens de la maquette: Olivier Bonin (gauche), Nathan Belval (centre) et Martin Laliberté (droite)

Le principe de ce « boeuf maquette » était de faire dialoguer un musicien avec un instrument de musique conventionnel (guitare et violon) avec un musicien pilotant la maquette. Deux « maquettes instrument » sont développées actuellement, et ont déjà été utilisées dans des événements précédents, en décembre et en mai.

Le premier instrument est un plugin (greffon) du système d’information géographique QGIS développé en python à l’aide de la bibliothèque qt et capable de jouer un nombre quelconque de sons de la maquette, ou des extraits de ces sons, qui sont ensuite traités en temps réel dans Max, et mélangés éventuellement au son des instruments acoustiques.

Le deuxième est un synthétiseur sophistiqué commandé en temps réel par la topographie de la zone et les actions du musicien sur un écran tactile, synthétiseur programmé dans Max et piloté par une interface définie dans Iannix.

Le public a pu également venir jouer avec la maquette et participer à ce petit concert sous le signe de l’improvisation.

Scène ouverte

Les ordinateurs ont vraiment eu chaud, au point de nécessiter de fréquents redémarrages et de refuser parfois de jouer, malgré les pare-soleils artisanaux!

Martin Laliberté (gauche) et Olivier Bonin (droite) à côté des ordinateurs qui faisaient grève à cause de la chaleur.
Continuer la lectureLa maquette a fêté la musique!

Ville Témoin (11)

Benjamin Bondonneau, Kristof Guez et Raphaël Saint-Remy ont réalisé une série appelée « Ville Témoin » de textes, miniatures sonores, photos et vidéos à partir du matériau collecté pour la maquette urbaine, ramifications oniriques à partir des paroles d’habitants du territoire.

Continuer la lectureVille Témoin (11)