R103-4) Mes oreilles changent
(D’après : « Le vent dans les oreilles ». Oreilles, vent, poches)
LES OREILLES
Mes oreilles changent. Sans que je puisse rien faire contre elles grandissent, et surtout se referment sur elles-mêmes, formant de chaque côté de ma tête deux poches hermétiques dans lesquelles l’air, mis en cage par surprise, ne cesse de se tourner et de se retourner, de se cogner aux parois, de crier, hurler, geindre, sans qu’il me soit possible de faire quoi que ce soit pour le libérer (je m’y suis essayé bien sûr, mais mes mains n’ont rien pu contre ces poches de chair, et le courage m’a manqué pour m’y attaquer au couteau).
Je suis l’unique témoin de cette douleur de l’air, si proche de moi et si permanente que j’en connais à présent toutes les variations et les modulations, au point d’en prévoir presque les emportements les plus soudains, les bourrasques les plus inattendues.
Je pourrais prendre mon parti de ce nouvel état, et accepter ces enflures pourtant bien inesthétiques comme des membres naturels. Mais force m’est de constater qu’elles ne s’en tiennent pas à leurs dimensions premières et qu’elles ne cessent, par l’action de ce vent intérieur sans doute, de se développer et de gonfler comme des ballons. Elles ont depuis longtemps dépassé en volume non seulement ma tête, mais mon corps tout entier. Si bien qu’il me faut les traîner derrière moi, et que cette charge ne me laisse plus un instant de répit.
Encore puis-je toujours me mouvoir, même si c’est avec difficulté. Mais je sais que bientôt tout déplacement me sera impossible, et qu’il me faudra rester à jamais à la même place, pris en tenailles entre ces deux poches obèses. Je n’aurai alors pour tout loisir que d’écouter les vents se lamenter.