R103-6) Du matin au soir
(D’après : « Le chef d’équipe ». Profondeurs, creusement, chef, aboiements)
HOP ! HOP !
Du matin au soir (mais enfouis dans les profondeurs de la terre comme nous le sommes, il ne nous est possible de faire le départ entre ces deux moments du jours qu’à la qualité de notre fatigue — psychique le matin, physique et psychique le soir), nous travaillons dans la poussière humide et le manque d’air, et seuls nos coups de pioche, les allées et venues des chariots, les sirènes d’alerte et les « hop ! hop ! » de notre chef d’équipe viennent ponctuer, par périodicités entremêlées, nos fastidieuses journées.
Mais ce sont certainement ces « hop ! hop ! » de notre chef qui ont l’impact le plus notable sur nos nerfs. Non par l’effet direct qu’ils auraient sur notre ardeur, mais, pourrait-on dire, par la bande. Car ces sortes d’appels (à la fois encouragements, rappels d’une surveillance permanente, et ponctuation presque inconsciente de l’inactivité, inhérente à sa fonction, de ce même chef) nous sont à tous à ce point insupportables que toute activité, y compris la plus pénible, nous semble un bon moyen de nous les faire oublier — à conditions bien sûr que nous nous plongions de toute notre âme dans le labeur, et que nous y employions le maximum de nos forces.
Impossible de savoir si ces « hop ! hop ! » sont le résultat d’une patiente mise au point de la direction, ou une sorte d’aboiement incontrôlé, et considéré par elle comme sans importance ni inconvénient réel. Le fait est que ces aboiements sont devenus la signature sonore de la fonction de chef d’équipe, et que lorsqu’un nouveau chef est nommé à ce poste (y compris lorsqu’il provient de l’équipe même, et qu’il a dû endurer longtemps avec ses collègues ces appels insupportables) il les fait siens immédiatement, et en assomme les ouvriers avec cette régularité à la fois appliquée et nonchalante, mais de toute façon idiote, dont les années ont définitivement prouvé l’efficace.