R100-1) Les balles pleuvent autour de moi
(D’après : « Les balles ». Course, balles, sang)
LES BALLES
Les balles pleuvent autour de moi. C’est normal, c’est dans leur nature, elles sont nées d’avoir été lâchées incandescentes depuis le haut d’une tour, pour qu’en bas l’eau glacée d’une cuve leur donne forme. Pour cela qu’elles sont si rapides, traversent l’air avec tant de facilité, cherchent aussi avidement à retrouver cette ligne droite primitive, cette galerie qu’elles ont creusée dans l’air et qui derrière elles aussitôt s’est refermée.
Ma mère ma mise au monde dans le sang, et c’est dans ce sang que pour finir je vais me noyer. Une même logique nous unit donc les balles et moi. Ce n’est d’ailleurs pas moi qu’elles cherchent (peut-être ne me voient-elles même pas) : c’est après les arbres qu’elles en ont, les arbres qui se mettent en travers de leur chemin. Certaines de rage vont se planter dans leur écorce ; mais elles meurent de n’avoir pas pu retenir leur dard. Je dois courir, courir aussi vite qu’elles afin de rejoindre ma mère qui quelque part là-bas m’attend dans l’angoisse. Non, non, ce n’est pas moi qui cours, c’est mon sang ; mon sang qui se sentant mourir cherche à rejoindre sa source. J’ai peine à le suivre tant il va vite — plus vite que les balles !