R99-1) Vêtus de noir, la tête couverte d’une capuche
            (D’après : « Le trésor public ». 
Marmite, rues, mendiant)

LA SÉBILE

Vêtus de noir, la tête couverte d’une capuche dissimulant leur visage, des hommes parcourent la ville au pas de course, porteurs d’une grande marmite dans laquelle ils jettent tous les biens dont la valeur leur semble dépasser la norme — norme qu’ils sont les seuls à connaître, et que rien ne peut laisser deviner. 

Ils fouillent les maisons de la cave au grenier, plongent leurs mains dans toutes les poches, se relaient jour et nuit pour que jamais la marmite ne touche terre, provoquant partout où ils passent crainte et désespoir. Et lorsque la marmite menace de déborder et qu’ils s’en vont la vider dans l’immense citerne que nul n’a le droit d’approcher, c’est ensuite pleins d’une force nouvelle qu’ils réapparaissent et reprennent leur chasse. 

N’étant qu’un mendiant sans autre possession que le carton où je m’assieds et la portion de mur où j’appuie mon dos, je n’ai rien à craindre d’eux. Pourtant je les fuis comme la peste. Car je garde au fond de ma poche une piécette dont on m’a fait l’aumône un jour, et qui avec le temps est devenue ma confidente, ma compagne secrète dont pour rien au monde je ne voudrais me séparer. C’est pourquoi je ne cesse de courir la ville à la recherche du coin le plus sombre, et surtout le plus opposé à la zone que les hommes en noir dans le même temps ratissent. Car ils ne pourraient que lire dans mes yeux la valeur qu’a pour moi cette compagne, et vouloir la saisir immédiatement. 

C’est donc avec ostentation que toujours je laisse entre mes pieds ma sébile, pour n’y prélever que parcimonieusement de quoi me nourrir, afin que ce soit sur elle, et uniquement sur elle, que se porte leur avidité, si d’aventure mon application à les fuir faillissait et qu’ils en venaient à découvrir ma misérable existence.