R96-7) L’application que je porte
             (D’après : « Les Antilles ». 
Dérive, îles)

DÉRIVE

L’application que je porte à ma propre dérive m’emporte vers des terres toujours plus étrangères et douteuses. Mais chaque échouage sur un nouvel îlot confirme ma nature adaptative : plus l’îlot se montre inconcret, plus en effet j’y prends pied avec aisance ; plus j’avance dans ce voyage (qui peut-être n’est qu’immobile) plus l’incertain devient mon prolongement naturel, l’inaudible et l’impensable les pousses grâce auxquelles je perçois mon corps et mes pensées comme plausibles, sinon tangibles. 

Au point que chaque étape de mon plongeon dans le toujours plus vaporeux ne fait que renforcer mon acclimatation au rien, au fantomal, à l’inimaginable. Et si dans les premiers temps j’ai pu prendre goût aux végétations exubérantes d’îles concrètes, ici ou là peut-être encore répertoriées, c’est dans les miettes de terre dont rien n’atteste l’existence (pas même un tremblement de l’air ou une fragile exhalaison) que mon corps s’épanouit réellement — c’est-à-dire se dissout, avec pour seule aspiration de disparaître tout à fait.