R100-5) C’est la guerre
            (D’après : « J’ai vu une petite fille cachée sous un camion ». 
Guerre, éparpillement, lunettes, muscles)

LA GUERRE

C’est la guerre. Les adultes se battent, et je ne peux compter que sur moi-même. Mes bras sont au loin, enfoncés dans la boue des rizières. Mon ventre suffoque en haut d’un escalier, caché sous un lit (en bas les militaires renversent tout, s’en prennent à mon père, hurlent). Ma tête pend sous un camion, compte les pieds des soldats, se trompe, recommence. Les larmes brouillent ma vue. Le camion démarre, roule lentement sur des centaines de paires de lunettes, comme s’il prenait soin de les écraser une à une, méticuleusement. Mes jambes courent quelque part dans la ville, dans une ruelle sombre, entre des murs décrépis. Ce sont elles d’abord que je dois retrouver. D’abord mes jambes, et ensuite tout le reste. Les lunettes éclatent comme des carapaces d’insectes. Dans le ciel les bombes creusent des brûlantes galeries. J’entends les pas d’un soldat dans l’escalier. Il vient me chercher. Par chance ma bouche est loin, cachée sous le camion. Mais même là elle ne doit pas crier. Surtout ne pas crier. Mon ventre s’aplatit contre le sol. Les pas tournent autour du lit, s’éloignent. Je ne sais plus comment on respire, grâce à quels muscles. Est-ce que la guerre prendra fin un jour ? Non, chaque nuit la fait renaître, et avec elle l’éparpillement de mes membres.