R101- 4) Après avoir tamponné mon passeport
(D’après : « Nationalité ».Douane, passeport, peau)
PEAU NEUVE
Après avoir tamponné mon passeport et me l’avoir rendu (sans pour autant abandonner son regard suspicieux), le douanier me montre derrière lui une porte qui ouvre, je le sais, sur la pièce réservée au changement définitif de nationalité. C’est là que l’on se défait de sa peau ancienne pour enfiler la nouvelle.
À peine ai-je passé la porte qu’un médecin militaire (à moins qu’il ne s’agisse d’un simple soldat vaguement infirmier) m’apporte ma peau neuve suspendue à un cintre. La jetant négligemment sur le dossier de l’unique chaise, il me demande de m’asseoir et, faisant surgir une lame de sa poche, commence à inciser la base de mon cou. Quelques gouttes de sang tombent sur mes bras et mon ventre — beaucoup moins cependant que je ne pouvais le craindre. Une fois l’incision terminée l’homme disparaît, non sans m’avoir précisé que je devais me dépêcher, que d’autres attendaient, etc.
C’est donc de façon précipitée et sans presque prendre soin de ma peau déjà à demi étrangère que je procède à l’échange. Je suis surpris de voir combien la peau que l’on m’a apportée correspond (à de légers détails près, dont je ne doute pas qu’ils s’estomperont avec le temps) à ma taille et à ma corpulence. Mais je n’ai guère le temps de m’en réjouir : l’homme réapparaît, saisit ma peau ancienne, et tout en la suspendant au cintre me pousse vers la sortie, où un autre militaire, de mon pays d’accueil cette fois, s’empresse d’apposer sur mon passeport un nouveau coup de tampon.
Je ne sais si je dois lire dans le léger sourire qui s’affiche sur son visage une marque de satisfaction ou de mépris. Sans doute s’agit-il d’un subtil mélange des deux.