R 112) Immeubles flasques, rues molles
(D’après : « Pour l’instant c’est assez flou. Après on verra ». Immeubles, rues, vol, efforts, ailes et pattes)
PROGRESSION
Immeubles flasques, rues molles, trottoirs mouvants, imprécis. Ma progression tient autant de la marche que de la nage ; peut-être même d’un genre spécial de vol, lent, difficultueux, rendu incertain par la répugnance de l’air à me concéder passage, et par l’adhérence des choses à mon corps — lui-même peu ferme, peu sûr de son état.
Le bitume colle à mes vêtements. Les pierres tournent lentement autour de moi, chuchotent, préparent je ne sais quelles sournoises manœuvres, et je sens aux ondes épaisses et tomenteuses qu’elles échangent que mon avancée les perturbe, parasite leurs plans.
Mais englué dans la gêne que je provoque, je n’ai d’autre alternative, pour m’en défaire et aller de l’avant, que de l’alimenter. Je redouble donc d’efforts, puise dans mes réserves, afin d’échapper à cette moite conspiration, mais aussi parce que je sens que plus loin (à une distance que néanmoins pour le moment je ne saurais définir) je trouverai un environnement stable, invariable, sûr.
Mais cette zone que j’espère, et vers laquelle je m’efforce, m’accueillera-t-elle en son sein ? Sa fermeté ne sera-t-elle pas précisément un obstacle ? Ne me repoussera-t-elle pas vers ces courants sournois qui pour l’instant s’emploient à me perdre ? Ces questions me taraudent. Raison pour laquelle je me consacre avec tant d’ardeur à mes disgracieux battements d’ailes et de pattes, repoussant le moment d’une désillusion que malgré tout je ne peux m’empêcher de considérer comme inéluctable.