R80-2) Mon avancée sous terre est lente
(D’après : « Les voitures seront volantes ».Sous terre, avancée, autre monde)
SOUS TERRE
Mon avancée sous terre est lente, difficultueuse, et les efforts qu’elle me coûte disproportionnés en regard du terrain finalement gagné. Je passe plus de temps à déblayer la voie devant moi (avec pour seul outil un pieu rudimentaire), qu’assis sur mon chariot, que je ne regagne chaque fois que pour le faire avancer de quelques centimètres. Du reste, il m’arrive bien souvent de le déplacer sans même m’y installer, en le traînant simplement derrière moi (c’est un modèle des plus modestes, à place unique, que l’on peut tirer sans trop de peine).
Pourtant, malgré cette difficulté à progresser, je ne perds pas courage. Bien au contraire, c’est comme si cette adversité renforçait mon ardeur. J’aime faire face à de nouvelles terres, à des roches soudain plus dures, ou au contraire plus friables, j’aime me voir contraint de contourner des poches d’eau souterraine ou des entrelacs de racines dont je me plais, dans l’obscurité qui m’enveloppe, à imaginer quels troncs, quels branches, quel feuillage elles nourrissent.
Je ne sais d’ailleurs d’où me vient la connaissance des arbres, des rivières, des villes même sous lesquels je passe parfois, et que certains indices, que j’ai appris à lire, me révèlent. Ai-je habité à l’air libre dans mon jeune âge ? M’a-t-on conté (mais qui l’aurait fait alors ?) la vie à la surface de la terre ? Je l’ignore. Mais je sais ce qu’il s’y passe. Je sais les guerres, les famines, la terre et l’air contaminés par les hommes, le ciel congestionné par des cohortes de véhicules progressant pas à pas, coincés dans d’immenses nuages rendus solides et raides par leur surpeuplement même.
C’est pourquoi mon existence ici, dans ces profondeurs, m’apparaît somme toute préférable, malgré la solitude, le froid parfois, l’absence de distractions. Je ne sais où ces efforts quotidiens me mènent, si même il est raisonnable de leur imaginer un but. Peu importe, pourvu qu’ils me tiennent à distance de cet autre monde en perdition, où les hommes n’ont d’autre idée, ni d’autre désir, que de proliférer, tout en travaillant toujours plus vigoureusement à leur propre extinction.