R74-4) D’un coup toutes les choses qui m’entourent
            (D’après : « Se déconnecter de ses soucis au quotidien ». 
Énergies, paroi, immobilité)

L’ÉCLIPSE

D’un coup, sans que rien l’ait laissé présager, tout ce qui m’entoure s’immobilise. Les corps, les lumières, les sons se cognent à d’invisibles parois, sont stoppés dans leur course, se figent. Pourtant je le sais l’existence de ces énergies n’est en rien arrêtée. Toutes continuent de vivre avec le même appétit, la même attention portée à l’immédiat ou au lointain, la même fébrilité. Mais quelque chose en elles, peut-être le soin habituellement porté à leur développement, à l’extension de leurs bras, à la propagation de leurs ondes, cesse pour un moment d’être actif. Le temps, lassé de la rectitude de sa flèche, se met par jeu à se tordre, à essayer le cercle (ou la spirale), la lenteur, la fausse inattention de la bête assoupie. Grand accord d’orgue tranché par la lame d’un fin rasoir, la rumeur du monde s’immobilise, m’invite à entrer en elle. Je m’y aventure comme dans un jardin inconnu, jouissant de sa végétation exubérante, de ses fragrances, de ses sentiers infoulés, menant parfois vers de soudains abîmes. C’est toujours sans crainte que mes yeux plongent dans le vide ; avec même une certaine curiosité, qui je le sens pourrait me pousser à m’y précipiter. Mais j’ai hâte de découvrir les mille trésors que recèle le jardin, et vite m’en détourne. C’est le moment que choisit l’énergie du monde pour mettre fin à sa brève éclipse. Et tout s’efface — c’est-à-dire redevient net, conforme, et légèrement teinté d’ennui.