R101- 7) Je traîne derrière moi un volumineux filet
            (D’après : « Les crevettes ».
Port, crevettes, ascension, sommeil, algues)

LES CREVETTES

Je traîne derrière moi un volumineux filet rempli de crevettes, qui régulièrement se coince à l’entrée des ruelles étroites par où je dois passer, au point qu’il me faut chaque fois en manœuvrer énergiquement la lourde masse pour pouvoir poursuivre mon chemin.
Des crevettes s’échappent du filet bien sûr, sur lesquelles les chats errants se précipitent (ils ont intégré l’heure de mon passage, et ne manquent jamais d’être là), mais cela n’allège en rien ma charge, d’autant que c’est sur les hauteurs de la ville qu’il me faut livrer la marchandise, et que la pente raide fait paraître le filet toujours plus lourd. 

Une fois atteint ce quartier haut perché, commence la distribution : une poignée de crevettes jetée à la hâte dans chaque boîte aux lettres, afin que chacun puisse trouver son lot à son lever. Les maisons ici sont modestes, de tôles plus que de briques, séparées parfois par de larges terrains laissés à l’abandon qu’il me faut traverser presque à l’aveugle dans la nuit. Ma tournée est longue, et ne prend fin qu’aux premières lueurs du jour, lorsque j’ai enfin livré les bicoques les plus éloignées, celles faites uniquement de planches de bois, et protégées par des chiens qui semblent ne pas vouloir s’habituer à moi. 

Et c’est harassé que je grimpe jusqu’à mon refuge — une grotte naturelle au sommet du mont, d’où je domine et la ville et la mer, et où je ne tarde pas à m’endormir, allongé sur mon filet, dans des odeurs de crustacés et d’algues qui pénètrent jusqu’à mes rêves.