R110-3) D’un côté de mon champ auditif
            (D’après : « Froissements et coups ». Bruissements, coups, vide)

CHAMP AUDITIF

D’un côté de mon champ auditif, un permanent bruissement — froissis de papiers, frou-frous de tissus, fins feuillages friselisants, voix susurrantes se gargarisant de simili-syllabes, de crachotements furtifs et suraigus ; de l’autre, des frappes répétées, graves et sourdes, comme d’une masse sur un tronc creux, ou d’un pilon gigantesque sur le socle même du monde. Et entre les deux, rien, le silence absolu, le vide, l’absence de possibilité même d’un événement sonore quel qu’il soit. 

C’est pourtant dans ce territoire-là, dans ce silence fade pris entre deux murs contraires que se déroule mon existence ; là que je ne cesse de courir de l’un à l’autre de ces deux continuums sonores qui m’emprisonnent et me musèlent. Une tenaille aux branches antithétiques me retient dans sa gueule, et mon seul loisir réside dans la contemplation de ses dents. Mais à force d’examen, mon oreille s’est affinée, et je perçois désormais les moindres variations tant des froissements suraigus que des coups sourds qui bornent mon domaine, en saisis les plus infimes nuances de timbre, les plus subtils jeux de dynamiques, et cet aguet permanent parvient à alléger quelque peu, malgré tout, l’errance monotone et insipide à laquelle je suis condamné.