R101- 3) Bien que ce soit en pleine journée
            (D’après : « Échanges humains ».
Place, membres, organes, échanges)

ÉCHANGES

Bien que ce soit en pleine journée que la place connaisse son activité la plus dense, c’est dès les premières heures du jour que l’on voit affluer vers elle les candidats à l’échange. On y vient de loin tant l’endroit est réputé. Certains arrivent là exténués par leur voyage, mais ils savent qu’ils repartiront ragaillardis et comme neufs (telle est du moins leur attente) et ils relativisent les épreuves endurées, allant jusqu’à les considérer comme des gages de réussite. 

Car on vient ici pour trouver des membres et organes de qualité, et pour offrir les siens en échange. Bien sûr ce commerce est rarement direct : l’un donne son pied à celui qui propose son œil, un troisième promet un doigt à un autre qui cherche un coude, et c’est parfois au bout d’une longue chaîne de transactions que l’on obtient ce que l’on recherchait. Ce commerce étant seulement toléré par les autorités, tout cela se passe rapidement, et comme sous le manteau. On n’échange que quelques phrases, on convient de l’affaire d’un clignement de paupière. Pourtant le sang coule, forme des ruisseaux dans lesquels on patauge, surtout vers le soir, lorsque par peur de revenir bredouille on devient moins regardant et consent à donner un peu plus de soi-même qu’on l’aurait souhaité. 

Et lorsque la nuit tombe et que les dernières transactions s’achèvent (ce sont les produits les moins raffinés ou les plus courants que l’on troque alors) l’endroit se vide, laissant la place aux chiens qui étrangement (car chacun des visiteurs de la journée semble être reparti satisfait) réussissent toujours à dénicher quelques morceaux égarés ou n’ayant pas trouvé preneur. 

Encore doivent-ils les disputer aux quelques mendiants et estropiés habitués des lieux venus là récupérer de quoi alimenter l’hypothétique affaire du lendemain.